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Une bibliothèque d'étude ?

Après la mort de Geddes, sa seconde femme, Lilian Brown, et ses collègues poursuivent son œuvre d’enseignement jusqu’en 1939. Le Collège des Écossais est ensuite acquis par la ville. La bibliothèque du Collège, riche de plus de 1350 ouvrages, est donnée à la Bibliothèque centrale de l’Université de Montpellier par son fils, Arthur Geddes. Pendant l’Occupation, considérée comme subversive, elle devait être détruite mais François Pitangue, conservateur à la Bibliothèque, garde les ouvrages en assurant aux autorités avoir exécuté l’ordre de destruction.

La bibliothèque disposait d’un espace dédié dans le bâtiment des Écossais, dans son extension maximale réalisée en 1928. L'étude de la collection visait à fournir un outil supplémentaire de compréhension de l’activité d’enseignement de Patrick Geddes au Collège des Écossais. Elle se révèle être un miroir particulièrement fidèle de sa pensée, de ses actions, de ses voyages, mais aussi du milieu intellectuel dans lequel il évolue. Comme l’on perçoit dans les jardins du Collège une aspiration à la synthèse (jardin grec, jardin de la Renaissance italienne, jardin anglo-chinois, etc.), la bibliothèque vise à la « vue synoptique » du monde plus qu’à une exhaustivité encyclopédique.

On s’attendrait, dans un établissement d’enseignement tel que le Collège des Écossais, à trouver une bibliothèque d’étude destinée aux étudiants. Il n’en est rien. Geddes se méfiant de l’enseignement livresque, aucun dictionnaire, aucune encyclopédie ne se trouve dans sa bibliothèque. Car il s’agit bien de sa bibliothèque personnelle, du moins à l’origine : il est vraisemblable que Geddes l’ait constituée de ses propres livres ramenés d’Inde. Elle s’enrichit ensuite de dons, mais aussi des ouvrages des amis et collègues de Geddes, Paul Reclus et T. R. Marr, respectivement intendant et responsable des études au Collège des Écossais.


Un observatoire des racines de la pensée geddesienne

La bibliothèque réunit des ouvrages, datant des années 1850 à 1940, en plusieurs langues, anglais, français, allemand, espagnol, portugais ; elle montre l’exceptionnelle ouverture de Geddes au monde entier. Écossais profondément francophile, passionné de l’histoire de l’Inde et de ses mythes, planificateur du centre de Tel Aviv, acteur de la réinsertion des exilés arméniens à Chypre, Geddes se découvre dans la diversité de ses actions à travers sa bibliothèque.

Si l’on s’en tient au recensement rigoureux des documents, l’auteur le plus représenté dans la bibliothèque du Collège, mis à part Geddes, est Auguste Comte, largement devant Darwin ou Thomas Huxley, qui l’avaient dans sa jeunesse encouragé à entreprendre des études de biologie. L’influence de Comte, Montpelliérain d’origine, incite Geddes à laisser le darwinisme, trop mécaniste et fondé sur la concurrence, et l’introduit à la classification des sciences et à la sociologie comme science exacte. Il se retrouve également bien mieux dans la pensée de Herbert Spencer qui, sans nier le rôle de la lutte pour la vie, introduit également la notion de coopération comme facteur d’évolution.

L’œuvre de John Ruskin est également présente. Bien qu’ils ne se soient pas illustrés dans les mêmes domaines, Geddes et Ruskin se retrouvaient sur de nombreux points, notamment l’intérêt pour l’architecture, Ruskin dénonçant les deux forces opposées qui ruinaient les monuments, le délabrement et la restauration interventionniste.

On peut néanmoins s’étonner de la faible représentation d’une influence majeure de la pensée geddesienne : Frédéric Le Play. Celui à qui Geddes avait emprunté la triade « famille – lieu – travail » et qui lui avait donné l’exemple des voyages dans le monde entier en vue de recueillir des notes géologiques, sociales, économiques, subsiste pourtant dans tous les travaux de la Sociological Society et de son successeur, la Le Play Society.

La collection, à travers les ouvrages de Thomas More, d’Émile Masson, de H. G. Wells, confirme l’intérêt de Geddes pour le mouvement utopiste. Geddes et son collaborateur Victor Branford parlent cependant plus volontiers d’« eutopie ». La présence du Gargantua de Rabelais dans sa bibliothèque rappelle que Geddes pensait le Collège des Écossais comme une nouvelle abbaye de Thélème.


« Geddes and colleagues »

La bibliothèque du Collège n’est pourtant pas que celle de Geddes. Elle évoque le milieu intellectuel que Geddes côtoie dans les années 1920 : les ouvrages de la Sociological Society, fondée en 1903 avec Victor Branford à Londres, puis de la Le Play House montrent le rayonnement de la méthode geddesienne du « regional survey ». La maison d’édition Geddes and colleagues, dans laquelle publient Geddes, Victor Branford et Paul Reclus, est également représentée.

À travers les dédicaces, on découvre les hommages de plusieurs amis et collègues de Geddes. Nombreux sont ceux qui gardent contact avec lui depuis Israël et l’Inde. Mais ces hommages sont également le témoignage du lien avec l’université de Montpellier : Jules Valéry, doyen de la Faculté de Droit (et frère de Paul Valéry) dédicace à « Patrick Geddes, qui porte un si grand intérêt à l’université de Montpellier » un de ses ouvrages.